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(jour 3)
le goût de l'été c'est peut-être celui là
apercevoir de minuscules rivières sous les paupières de la clara en robe d'ombre
elle qui me parle de ses vacances en solitaire qui la paralysent d'avance
- il aurait fallu que je lui raconte février
partir seule mes livres sur le dos
la grêle sur les joues et dans le coeur
m'en aller en silence ponctuer mes heures d'un très grand sentiment de vide
aller diluer mon être dans l'absolu des foules
marcher comme si je n'existais plus, ou ne savais plus exister
c'était cela, février, peut-être aurais-je du le lui dire
mais s'y sont glissés en toute discrétion
le chat dans le cimetière qui aurait pu parler si seulement je lui avais donné un nom
le grand sac de madeleines au goût de mamie
pointer le doigt dans une direction, et m'y rendre
les nuits à pleurer la perte de soi
le flou, constant et irrespectueux
- comment peut-on mourir dans le flou
est une question qui m'aura secouée maintes fois –
s'y sont glissés dans un tintamarre atroce
le grincement des nuits, qui sans fin deviennent des jours, qui sans fin deviennent des nuits à leur tour, sans qu'on puisse mettre le doigt sur un seul moment qui ait du sens
la cacophonie des abribus lorsqu'ils sont la seule vie qu'on croise
le mensonge des boulangeries, tea room et autres cafés, où, pensant payer pour un peu de chaleur, tu n'en repars que le ventre chargé d'un peu plus de pâte et les mains froides
s'y sont glissés avec douceur
la tendresse que tu ressens pour l'humain lorsque toi-même tu te glisses hors de ton corps de chair
la douceur de se laisser vivre
la quiétude des nuits de lecture où les mots de l'autre sont lacs, océans et flaques d'eau à la fois - peu importe la taille, la noyade est toujours telle qu'un tsunami aurait pu écrire les lignes
l'apaisement de laisser partir un car, puis un autre, un troisième peut-être, pour ne se mettre en marche que lorsque, réellement, le coeur suit et devance
il aurait fallu
à ma clara d'ombre qui dormait sous la folie voltaire
lui dire que la solitude est un cadeau, une entaille, un serment et un mensonge
lui dire qu'être seule n'est rien, lorsque l'on s'accompagne
lui dire que le plus dur est peut-être bien de s'accompagner
lui dire, si seulement j'en avais eu le courage, que moi, j'aurais pu, j'aurais souhaité, j'aurais aimé, l'accompagner
ma clara d'ombre à la robe de lumière
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(jour 2)
il m’est si facile de ne pas dire –
j’ai cette faculté depuis très longtemps,
depuis les prémices de mon adolescence
où mon corps de vieille et mon âme d’impulsive
travaillaient de mèche pour me faire passer tous les contrôles d’identitéil m’est si facile de ne pas dire –
je pratique cet art depuis très longtemps ;
pourtant, les jolies catholiques de mon enfance
m’ont longuement répété que mentir était pêcher
et j’ai prié de mon cœur de petite fille
oh, au moins mille fois pour confesser mes fautes
pardonnez-moi mon père, car j’ai menti,
il fallait le répéter à voix basse
autant de fois qu’on vous disait
et après
miracle
vous ressortiez de la poussière l’âme immaculéede ces journées de repentance
j’ai tout de même gardé le travers
de ne jamais mentir de front
– mais toujours par omission –
ne pas dire était surprenamment supportabletrès vite
j’ai su glisser des heures entre les heures
et des jours entre les jours
et des nuits entre les nuits ;
seule interprète de mes calendriers,
seule connaisseuse, seule mélomane,
je savais jongler avec mes absences comme un feu
- brillamment, j’ai ébloui mon mondeje ne saurais jamais dire pourquoi
je joue autant à dérober mon être
mais s’il devait y avoir une réponse
c’est que souvent je déborde
je déborde déborde dégouline
de cette vie si rangée où tout est attendu
de ces convenances étriquées dans lesquelles il faut se corseter
de ce faux sentiment de sécurité qui parsème mes jours
et qui parfois me tord et me transperce tant je ne m’y retrouve plusj’ai besoin
d’aller faire du vélo dans la nuit noire, quand la cathédrale sonne des heures dont personne ne se rappelle
j’ai besoin
d’aller errer dans les maisons d’ombres que je ne connais pas, de vivre en parallèle d’un absolu que je frôle sans vouloir le toucher
j’ai besoin
de dormir sur la jetée à côté d’autres corps à même le sol, pour me voir respirer encore malgré les arêtes plantées dans mes poumons et le froid qui me perce
j’ai besoin
de ces ivresses, de ces secrets, de ces tendresses qui ne se glissent qu’entre deux inconnus à des heures incorrectes
j’ai besoin de goûter aux confidences que la vie ne me fait que lorsque je m’en absente
j’ai besoin de me sentir vivre
et, pour un moment, un seul, de ne pas me voir poursuivre un calendrier[…]
alors tu vois, avec une telle pratique,
avec un tel bagage,
il n’a pas été difficile de ne pas direnon
le jour où tu m’as prise
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(jour 1)
il faudra être douce avec moi
cela fait longtemps que je n’ai plus écrit
tu sais
que je me refuse aux yeux des autres
que j’ai le corps, les mots qui se dérobentne me presse pas si fort
ne me lis pas, s’il te plaît
je dis s’il te plaît, j’apprivoise la politesse
car elle est plus légère qu’un désespoir
plus facile à manier en société aussij’ai un secret en-travers de la gorge
oh, il pique
je n’arrive pas à mettre du désinfectant
au fond de ma trachée
ne suis pas arrivée à suturer non plus
le petit trou sous les intercostaux
alors ça suinte
et durant tous ces mois
où j’écrivais dans l’absence de moi-même
et dans le silence des autres
durant tous ces mois
je me suis égouttée prudemment
tâtée, pesée, surveillée, bordée
je me suis prise par la main
comme une très petite filleet cela faisait longtemps que
je n’avais pas été une très petite filleil faudra être douce avec moi
puisque de nouveau je m’essaye au monde en débutante ;
cette fois je suis sans mots, sans filtres, sans certitudes, sans armure
je suis aussi sans doutes, étonnamment
j’ai la certitude paisible que j’ai la force de surmonter l’avenir
quel qu’il soit
j’ai le courage bleu des aventurièresj’ai la tendresse de me laisser vivre
je ne sais pas demain
mais quelque part, je n’ai pas besoin de le savoir
aujourd’hui m’est assez
aujourd’hui m’est assez
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fleurs de coco sous la langue
apaise, apaise-moi
pour la première fois depuis si longtemps
depuis quatre ans peut-être
depuis plusieurs éternités certainement
- pour la première fois depuis si longtemps
j'ai su respirer en passant les gonds rouge sang
en franchissant le seuil de la grande porte rouge
en foulant la ligne de départ du décompte des jours sans oxygène
j'ai avancé avec les poumons gonflés
de bonne humeur
et ouf
ouf
que cela fait du bien
de prendre du plaisir à apprendre
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