• Tendre Tom,

    Ne te fais donc pas tant de soucis, tu sais que tout va bien. Si ce n’était pas le cas, tu n’aurais même plus à m’écrire ces lettres tordues d’angoisse puisque je passerais mes journées cachée sous tes draps. Tout va bien, excepté cette foutue météo sentimentale qui fluctue, mais la tendance générale est à la répression de la dépression ; de fortes pluies s’abattent toujours sur mes plantations de paupières ciliées, mais bon, nous aurons quelques pensées bien gorgées d’eau à déguster cet été et puis c'est tout, que veux-tu ? Il leur faudrait bien du soleil pour se sucrer un peu la panse, mais cet imbécile fait le difficile-timide. Pour tenter de l’appâter, j’ai même acheté des chaussures jaunes –comme la veste déchirée artefact d'un autre temps– et mis des paillettes sur mes yeux et même de l’amour en pommade sur mes cicatrices –internes ET externes, j’ai fait les choses bien– : rien à faire.

    J’espère que de ton côté de la planète ton monde vire toujours à l’ouest, que ta boussole a perdu le nord et que tu cherches encore les étoiles –tu sais, je t’ai toujours préféré en marin échoué et échevelé que dans ton costume de plagiste trop bronzé. Peut-être même que si tu te perds assez, nous finirons par nous retrouver ?

    Je te souhaite beaucoup de baisers sablés-salés,

    tendresse,

    Louise

     

    (PS : si jamais tu as trouvé le soleil, m’en enverras-tu un bout dans ta prochaine lettre ? Tu peux l'adresser à Marc, il saura où me trouver.)


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  • En avant la jeunesse !

    Oh, comme j’aimerais encore avoir 20 ans, tu sais, c’est la jolie rengaine inusable des mamies qui cherchent des grandes tailles dans les magasins ; c’est la chanson récalcitrante des mamans dans les jardins fatigués, tu sais, pour être belle encore, pour être jeune encore, libre, folle, tu sais, danser, séduire, c’est beau d’avoir 20 ans, le monde est nôtre, la vie est tienne et tu peux croquer jusqu’à la moelle, à pleine dents avides de savoir dans la trame du cirque incontrôlable, aspirer l’essence même de l’éternité à travers ta jeunesse, mes 20 ans, c’est comme si c’était hier, comme j’aimerais -

    oh, comme j’aimerais de nouveau avoir 20 ans m’a dit hier la mamie dans le magasin, et j’ai dit, oh non, oh non, non non non non non, vous n’aimeriez pas avoir mes 20 ans, mes 20 ans, ils débordent d’angoisses, mes grands-parents vont bientôt mourir parce que leur chair périme si vite et mon père commence à tousser très fort – comme mon Papy avant la déchirure -, et à 20 ans on doit savoir où l’on va, qui l’on veut être, on doit débuter la construction de l’esprit mais mes 20 ans me déconstruisent chaque jour un peu plus, je ne sais déjà plus parler et les mots pourrissent doucement à l’intérieur de mon vide, moi mes 20 ans sont remplis de néants, de grands trous brûlants aux bords déchirés, où il y manque des gens, des paroles, photos calcinées pour faire comme si les absents ne blessaient pas, mes 20 ans ont l’odeur du mercurochrome de cœur et du chloroforme de souvenirs ; je ne suis pas libre, libre, je suis en train de baisser les bras parce que porter la vie sur mes seules épaules m’épuise, et mes mains raclent la terre, regarde mes phalanges bleues, et mes études me piquent de questions, me pincent toute la peau avec leurs points d’interrogation qui se glissent jusque sous mes paupières qui papillonnent au rythme des angoisses ; mes 20 ans s’épellent i-n-s-o-m-n-i-e-s, se prononcent crises de larmes dès la porte close, jette une pièce et tu as la probabilité que je pleure ce soir, pile, face, c’est égal, dès que la nuit sera tombée, il me faut juste le noir, la serrure, le confort de la transparence, il me faut me cacher, cacher la fissure, frêle membrane de poitrine, d’où suinte ma jeunesse débraillée, moi mes 20 ans je les ai passés à pleurer en secret parce que je ne sais pas réfléchir, je n’ai pas trouvé où apprendre ou alors je n’ai pas appris et maintenant je me mords la langue, mes 20 ans ont un goût de langue mordue, de sel et de panique, et le nuage qui m’enchaîne face à mon incapacité de choisir me fragilise, moi mes 20 ans sont friables, coriaces, agrippés à ma peau ils griffent tous mes possibles et entaillent mes lendemains,

    et la mamie me disait hier dans le magasin, oh comme j’aimerais encore avoir 20 ans, et je lui ai répondu, ce serait si triste vous ne croyez pas


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  • Le réveil m’a tiré une langue boudeuse, du coin du parquet où il se laissait impatiemment moisir, faisant chanter dans ses décibels stridents la promesse d’un lever douloureux. Le nuage est parti comme un éclair, en quelques secondes à peine, peigné, coiffé, parfumé, à moitié habillé, il me lançait dessus mes vêtements froissés et mal accordés pour que je me lève à mon tour. Il a rattaché autour de ma taille le bracelet qui avait glissé pendant la nuit, m’a tendu mes bagues, petites menottes de phalanges bleues.

    Impossible. À chaque essai de quitter mes draps, chaton infirme, je revenais me blottir dans le creux encore chaud que nos corps avaient laissé dans mon matelas. J’avais cinq cent respirations en trop dans le cœur, un short sur mes cuisses bleues alors que la pluie tintinabulait sur la poussière des tuiles au-dehors. J’ai essayé de parler, un peu, de raconter au nuage la douleur en nid d’oiseau enfoncée dans ma petite poitrine débraillée. Les mots dansaient presque dans l’air, mais il voulait les forcer en-dehors de ma bouche quand je ne suis capable que de les laisser couler dans les très longs silences protecteurs.

    Affamée de tendresse, je cherchais ses bras quand il a trouvé le temps long, et, envolé, il est parti en me laissant plus de silence que de baisers.

    Alors j’ai sorti les larmes qui n’avaient pas su baigner la nuit, entimidifiées par sa présence endormie ; cachée dans un mur, j’ai pleuré ma vie tandis que le nuage conduisait à travers toute la ville, à la recherche de café et de souvenirs.

    La poussière dansait dans mon cœur asséché, sur les tuiles détrempées, sur la ville, les mers, dans l’absence de la mère, et se cristallisait dans le ciel, flocon d’absence, cadeau fractal du nuage en cavale.


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  • -  "Putain ! Où sont les hommes quand il faut se salir les mains ?!"

    articula-t-elle nerveusement, mise en colère par le sang qui tachait sa culotte, attrapant le premier tampon qui passait à proximité.


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