• En avant la jeunesse ! - Jour 9

    En avant la jeunesse !

    Oh, comme j’aimerais encore avoir 20 ans, tu sais, c’est la jolie rengaine inusable des mamies qui cherchent des grandes tailles dans les magasins ; c’est la chanson récalcitrante des mamans dans les jardins fatigués, tu sais, pour être belle encore, pour être jeune encore, libre, folle, tu sais, danser, séduire, c’est beau d’avoir 20 ans, le monde est nôtre, la vie est tienne et tu peux croquer jusqu’à la moelle, à pleine dents avides de savoir dans la trame du cirque incontrôlable, aspirer l’essence même de l’éternité à travers ta jeunesse, mes 20 ans, c’est comme si c’était hier, comme j’aimerais -

    oh, comme j’aimerais de nouveau avoir 20 ans m’a dit hier la mamie dans le magasin, et j’ai dit, oh non, oh non, non non non non non, vous n’aimeriez pas avoir mes 20 ans, mes 20 ans, ils débordent d’angoisses, mes grands-parents vont bientôt mourir parce que leur chair périme si vite et mon père commence à tousser très fort – comme mon Papy avant la déchirure -, et à 20 ans on doit savoir où l’on va, qui l’on veut être, on doit débuter la construction de l’esprit mais mes 20 ans me déconstruisent chaque jour un peu plus, je ne sais déjà plus parler et les mots pourrissent doucement à l’intérieur de mon vide, moi mes 20 ans sont remplis de néants, de grands trous brûlants aux bords déchirés, où il y manque des gens, des paroles, photos calcinées pour faire comme si les absents ne blessaient pas, mes 20 ans ont l’odeur du mercurochrome de cœur et du chloroforme de souvenirs ; je ne suis pas libre, libre, je suis en train de baisser les bras parce que porter la vie sur mes seules épaules m’épuise, et mes mains raclent la terre, regarde mes phalanges bleues, et mes études me piquent de questions, me pincent toute la peau avec leurs points d’interrogation qui se glissent jusque sous mes paupières qui papillonnent au rythme des angoisses ; mes 20 ans s’épellent i-n-s-o-m-n-i-e-s, se prononcent crises de larmes dès la porte close, jette une pièce et tu as la probabilité que je pleure ce soir, pile, face, c’est égal, dès que la nuit sera tombée, il me faut juste le noir, la serrure, le confort de la transparence, il me faut me cacher, cacher la fissure, frêle membrane de poitrine, d’où suinte ma jeunesse débraillée, moi mes 20 ans je les ai passés à pleurer en secret parce que je ne sais pas réfléchir, je n’ai pas trouvé où apprendre ou alors je n’ai pas appris et maintenant je me mords la langue, mes 20 ans ont un goût de langue mordue, de sel et de panique, et le nuage qui m’enchaîne face à mon incapacité de choisir me fragilise, moi mes 20 ans sont friables, coriaces, agrippés à ma peau ils griffent tous mes possibles et entaillent mes lendemains,

    et la mamie me disait hier dans le magasin, oh comme j’aimerais encore avoir 20 ans, et je lui ai répondu, ce serait si triste vous ne croyez pas

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