• (jour 10)

     

    c'est le grand silence, aujourd'hui  

    les mots me fuient puisqu'enfin j'ai laissé certains sortir

     

    qui sait le temps qu'il nous faudra désormais pour colmater la brèche, désinfecter les souvenirs, rapiécer la confiance, rattacher nos mains l'une à l'autre 

     

    de mon temps à porter le secret en solitaire je ne me rappelle que l'ardeur de l'oubli 

    oublier plus fort, plus vite, plus grand

    enfouir de très grands pans de vie dans un obscur un peu flou

    ne plus savoir

     

    grand silence aujourd'hui 

    comme une mer plate, un film pas très bon, une cuisine sans odeurs 

    grand silence aujourd'hui 

    c'est qu'il faut prendre le temps de renaître


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  • (jour 9)

     

    quand tu dis ruines je pense que reste-t-il de nous
    et la question est encore si fraîche si douloureuse si neuve
    que je n'ose pas encore la regarder en face et lui planter dans le ventre ma réponse:

    rien

    il ne reste rien de nous

    tes rires et tes interrogatoires je les jette aux orties
    tes bras mous, inadéquats pour mes rêves affolés, je les foule aux pieds
    ton dos en noeuds d'arbre je le désosse, il n'a plus le droit à mes souvenirs
    ton odeur d'opium
    - et cette expression, qu'elle m'est douloureuse, qu'elle m'est difficile, dès les tous débuts elle m'était venue, dès nos prémices, et seulement aujourd'hui je me rend compte comme elle te décrivait justement, opium comme tous ceux que tu fumes, opium comme celui que tu étais pour moi, irrépressible, irremplaçable, inégalable, tu étais l'opium et j'étais la fumée -
    ton odeur d'opium je n'en sais que faire
    ton dos qui a si souvent désiré, essoré mes larmes je ne sais pas l'oublier 

    tes bras, qui à la fois savaient déclencher et conjurer les tempêtes, je les rêve encore autour de mes membres de minuscule
    ton rire si rare si doux je l'espère, je l'ai espéré comme décor à toute ma vie
    et pourtant
    regarde et dis-moi
    que reste-t-il de nous?
    quelques cendres, quelques ruines
    dernières reliques de notre si belle histoire.


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  • « Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps » G. Flaubert 

    (jour 8)

     

    tout un univers dans un grain de sable. souvent, l'immensité de la plage m'effraie. c'est très petit une plage. c'est cloisonné finalement, on a beau dire la mer, la mer, ô la mer, elle n'est qu'une frontière de plus, qui a déjà traversé la mer? la plage, ce cloisonnement, cet espace fini où l'infini transperce pourtant dans chaque volume. chaque grain de sable un univers. chaque vaguelette un raz-de-marée, un effacement total, une redistribution des rôles dans la grande pièce de la plage.

     

    j'ai une déformation professionnelle: je compte. à tout instant je compte. à tout moment je compte. j'estime, j'arrondis, je jauge, je mesure. je tempère. je compare. j'ordre de grandeur. je classe. je minimise, maximise, égalise. mais la plage me reste une énigme. combien de grains, combien d'étages, de mètres carrés, quel volume, et sous la mer? combien s'en cache-t-il sous la mer? où commencer le décompte, où clore la somme?

     

    dans cet infini pourtant circonscrit, vient toujours l'heure du lâcher-prise: la plus belle. enfin il convient de mettre un terme au système métrique, qui, impuissant, se retire. on peut se délier les mains, secouer un peu la tête pour se sortir des brumes entêtantes de grands nombres. on peut laisser se courber la nuque, toujours très droite quand il s'agit de classification. délicatement on peut embrasser la mer, sans à-coups ni gestes brusques. enfin on peut fermer les yeux, puisqu'il n'y a plus rien d'autre à faire. sinon se concentrer sur les détails. toujours, les détails. ils nous resteront bien après les chiffres.


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  • (jour 7)

     

    je geins et je soupire, dans ma nuque les câbles qui me servent d'échafaudages se tendent et se resserrent chaque jour un peu plus
    on pourrait me croire plus solide, plus ancrée, mais à chaque tour de clé je deviens aussi et surtout plus sensible aux vents forts des secrets monstrueux
    immense structure de métal et de chair, à la fois détachée et incapable de quitter le sol tant certaines de mes pensées me pèsent 

     

    il y a en moi une meurtrissure qui n'a pas encore eu le droit à la parole.
    j'ai, anesthesiés juste sous l'épiderme, une colère et un renoncement que je n'ai pas offerts au monde
    par choix, par honte, par politesse, par hasard, par incertitude
    par peur peut-être 

     

    voilà la raison des coutures sur mes lèvres et sur mes mots
    la cause de cette censure que je me fais subir depuis la grande déchirure
    à quoi bon écrire si ce n'est pour ne plus dire, si ce n'est pour me coucher, la plus sincère possible, auprès de mes mots, si ce n'est pour m'extirper de l'âme le liseron, les tourments et les échardes
    à quoi bon écrire si c'est pour cracher à la gueule du vrai, et poursuivre inlassable la quête du paraître, du faire semblant, du faire
    comme si
    comme si une vie ne s'était pas arrêtée après la grande déchirure 

     

    je geins et je rouille depuis ces algues qui dansaient sous nos cornées, obstruée par ces mots que je me refuse à dire. tu me parlais vase et errances, valse de questions sans réponses - tu n'as pas vu mes petits tsunamis domestiques, toujours tus et poussés de côté. toute entière je me suis mise de côté pour te donner la place pleine. seulement aujourd'hui je me rends compte de la violence que je me suis faite, de me traiter comme un détail, négligeable et négligé. seulement aujourd'hui je trouve les mots que j'aurais du te dire alors.

     

    ces mots ces mots ces mots qui me brûlent la rétine alors que je ne les écris pas, quels sont-ils, comme elle est longue la quête du vrai, du tangible, alors même que je me refuse ne serait-ce qu'un murmure, toujours perdue dans mon crâne à faire s'affronter des réflexions obtuses et contondantes, quel vacarme ce fracas de pensées, et lorsque leurs éclats ricochent contre la dure-mère et la plèvre de mon cerveau, je me retrouve à colmater mille perforations par lesquelles pénètrent la rouille et le déni, existe-t-elle seulement la réponse que je recherche, la trouverai-je un jour, la haine dont les petites dents sont plantées dans mes engrenages, me laissera-t-elle reprendre mon souffle, faudra-t-il me forcer à la confession, m'arracher des aveux pour perforer l'abcès qui se loge un peu plus profondément dans ma trachée à chaque fois que je croise ton parfum?

     

    pour la première fois depuis la déchirure j'accepte d'aborder le sujet - un premier pas, malhabile, minuscule, peut-être le pire car alors dans le sous-entendu tout peut s'entendre - mais un premier pas tout de même. des algues je suis ressortie, les cornées salées à se recroqueviller l'âme, vitreuses et pourtant soudainement je vois. sur la terre aride et rouge de rouille que je parcours maintenant en dilettante, dans ma nouvelle vie, je cherche un miroir où je n'aurais pas peur d'y tremper les yeux. il faudrait laver mes paupières, mes pupilles au papier de verre, me donner le droit à la peine, panser la meurtrissure.


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