• (jour 7) - les terres rouges

    (jour 7)

     

    je geins et je soupire, dans ma nuque les câbles qui me servent d'échafaudages se tendent et se resserrent chaque jour un peu plus
    on pourrait me croire plus solide, plus ancrée, mais à chaque tour de clé je deviens aussi et surtout plus sensible aux vents forts des secrets monstrueux
    immense structure de métal et de chair, à la fois détachée et incapable de quitter le sol tant certaines de mes pensées me pèsent 

     

    il y a en moi une meurtrissure qui n'a pas encore eu le droit à la parole.
    j'ai, anesthesiés juste sous l'épiderme, une colère et un renoncement que je n'ai pas offerts au monde
    par choix, par honte, par politesse, par hasard, par incertitude
    par peur peut-être 

     

    voilà la raison des coutures sur mes lèvres et sur mes mots
    la cause de cette censure que je me fais subir depuis la grande déchirure
    à quoi bon écrire si ce n'est pour ne plus dire, si ce n'est pour me coucher, la plus sincère possible, auprès de mes mots, si ce n'est pour m'extirper de l'âme le liseron, les tourments et les échardes
    à quoi bon écrire si c'est pour cracher à la gueule du vrai, et poursuivre inlassable la quête du paraître, du faire semblant, du faire
    comme si
    comme si une vie ne s'était pas arrêtée après la grande déchirure 

     

    je geins et je rouille depuis ces algues qui dansaient sous nos cornées, obstruée par ces mots que je me refuse à dire. tu me parlais vase et errances, valse de questions sans réponses - tu n'as pas vu mes petits tsunamis domestiques, toujours tus et poussés de côté. toute entière je me suis mise de côté pour te donner la place pleine. seulement aujourd'hui je me rends compte de la violence que je me suis faite, de me traiter comme un détail, négligeable et négligé. seulement aujourd'hui je trouve les mots que j'aurais du te dire alors.

     

    ces mots ces mots ces mots qui me brûlent la rétine alors que je ne les écris pas, quels sont-ils, comme elle est longue la quête du vrai, du tangible, alors même que je me refuse ne serait-ce qu'un murmure, toujours perdue dans mon crâne à faire s'affronter des réflexions obtuses et contondantes, quel vacarme ce fracas de pensées, et lorsque leurs éclats ricochent contre la dure-mère et la plèvre de mon cerveau, je me retrouve à colmater mille perforations par lesquelles pénètrent la rouille et le déni, existe-t-elle seulement la réponse que je recherche, la trouverai-je un jour, la haine dont les petites dents sont plantées dans mes engrenages, me laissera-t-elle reprendre mon souffle, faudra-t-il me forcer à la confession, m'arracher des aveux pour perforer l'abcès qui se loge un peu plus profondément dans ma trachée à chaque fois que je croise ton parfum?

     

    pour la première fois depuis la déchirure j'accepte d'aborder le sujet - un premier pas, malhabile, minuscule, peut-être le pire car alors dans le sous-entendu tout peut s'entendre - mais un premier pas tout de même. des algues je suis ressortie, les cornées salées à se recroqueviller l'âme, vitreuses et pourtant soudainement je vois. sur la terre aride et rouge de rouille que je parcours maintenant en dilettante, dans ma nouvelle vie, je cherche un miroir où je n'aurais pas peur d'y tremper les yeux. il faudrait laver mes paupières, mes pupilles au papier de verre, me donner le droit à la peine, panser la meurtrissure.

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