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Jour 41 - Feuilles rouges au pied du totem
oh, j'ai tout effacé le texte de ce soir, tout effacé, un clic un vide, tu sais pourquoi ?
le feu est venu dans le jardin ce soir et il a tout mangé, tout, les voisins les poubelles la cabane, les arbres le vieux pin le bois pour l'hiver, la palissade les fourrés les buis, et le feu est venu dans le jardin et soudain mon père hurlait à la lune d'appeler les pompiers, et les voilà ma mère mon père au maigre sabre de gouttelettes d'eau, il faut sauver la cabane, et les voisins et le vieil arbre et les poubelles qui fondent sous la chaleur, et le feu est venu dans le jardin, et d'un coup l'angoisse et l'adrénaline et la sensation affreuse des secondes qui s'écoulent chacune comme des brûlures sur la peau, est-ce que tout va s'enflammer tu crois ?
et le feu est venu dans le jardin, les feuilles ont viré au rouge rouge et les braises volaient dans la nuit tandis que la sève du vieux pin servait de fuel aux dents acérées du feu qui pourchassait la maison; et tout s'est fondu en un capharnaüm gigantesque, la chaleur sur ma peau comme autant d'aiguilles, et la neige en pleine nuit d'été, les serpents qui se gonflent d'un coup sec pour se gorger d'eau, et l'amiante emballée posée juste à côté de la cabane, il faut bouger les voitures, mettre les bidons d'essence du cabanon en sûreté, chercher le chat, le chat, les clés, la porte de secours mais soudain le jardin semble sans fin
mais ce feu dans le jardin, les gyrophares qui clignotent bleu bleu bleu, les voisins qui s'agglutinent et les poubelles qui se marrent, allongées lassées coulées sur le goudron, le chien, le policier, la policière, le pyromane, la fumée qui étouffe et les confettis dans le ciel, la nuit qui coule sur nos mains, l'échelle, la cendre partout, la braise qu'on piétine, l'homme à la langue mélangée, les photos pour l'assurance
et le feu
le feu dans le jardin
et puis le vieil arbre comme un dernier symbole, affreux, efflanqué, cime découpée par les jets des sauveteurs, scruté par mille yeux curieux-voleurs, le vieil arbre si sec qu'il jouait à la torche volante, trône, il trône, brûlé vif il siège sur le jardin recouvert de neige au carbone atone, il trône, totem nocturne à l'écorce raclée par les ongles des flammes, et dans le ciel à travers la fumée, les étoiles semblent rire
semblent rire de nous voir courir après des fantômes de feu, après des feux-folles-eh qui auraient un peu trop tiré sur les allumettes
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