• (jour 25)

    (jour 25)

    la princesse au petit féminin

    Mamie, ma douce Mamie, tu vas mourir et je ne peux rien y faire, sinon me gorger d’une immense tristesse et profiter de chaque seconde qu’on passe vivantes dans le même monde. Mamie, ma douce Mamie, tu n’es plus vivante mais tu n’es pas encore morte; tu nous laisses dans l’attente de te voir basculer d’un côté ou de l’autre.
    Cette attente est douloureuse, et m’est très douloureuse. Je pleure le moindre de tes soupirs, le plus petit de tes gestes, chacun de tes bilans de santé où tu valses avec le zéro pointé. Je pleure chaque étape de la mort sur toi, la perte de tes jambes, de tes reins, de ta voix. Je pleure chaque mot que j’entends sur toi car ils m’inquiètent tous. Je pleure déjà toute ta vie parce que j’ai l’impression que les dés sont jetés et que l’on t’a perdue.
    Ma Mamie-moineau, j’ai l’impression de t’enterrer sous mes mots alors qu’il est peut-être trop tôt, peut-être trop tôt, personne ne peut le dire. Peut-être vas-tu vivre encore quelques belles années si des tuyaux on te décroche, personne ne peut le dire. Pourquoi te pleurer avant l’heure ?
    Dans mes oreilles flashent : ils ont l’air plutôt pessimistes elle n’arrive plus à parler ton père ne pourra pas revenir au cas où maman est déjà redescendue au puy et tatie qui pleure ses soeurs la veillent chacune à leur tour elle est juste très très fatiguée elle vous embrasse.
    Mamie, j’essaye de respirer mais mes poumons se brisent à chaque fois que je t’imagine dans ton lit d’hôpital d’où on n’ose plus te sortir, princesse au petit pois qui ne se réveillera pas malgré les énormes tuyaux glissés sous ton matelas, Mamie, j’essaye de respirer et de ne pas t’imaginer déjà morte, Mamie, j’essaye de respirer pour supporter l’attente qui me perfore le corps, j’ai peur de t’avoir déjà perdue; tous les matins je me réveille en me demandant si tu es toujours vivante ou fraîchement morte; tous les soirs je désespère de cette attente insupportable.
    Mamie, on attend tous ton choix dans une très grande tristesse. On espère tous te revoir de l’autre côté du rideau de tuyaux, parmi les vivants, qui parlent et qui marchent. Je t’espère tellement fort. Mais peut-être que quand tu auras choisi tu seras morte. L’attente est insoutenable.

    Mamie-moineau au coeur de mousse, je ne pense qu’à toi.

    Reviens vite, tu me manques,
    Clara

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