• Jour 18 – « Très bien, soupira-t-il. Je t'accorde trois minutes. »

    
« Très bien, soupira-t-il. Je t'accorde trois minutes. »

    Trois, trois, trois minutes ? Mais c’est trop court trois minutes, elles sont trop courtes tes trois minutes pourquoi seulement trois, ton train ne part que demain matin pourtant, c’est bien trop peu trois minutes pour t’avouer presque une année de mensonges, tout un pan de vie creuse, c’est bien trop court pour mourir de honte et me cacher derrière un rideau de pleurs, et sur la table ta main qui serre la mienne jusqu’à éclater, ne me lâche pas s’il te plaît ne me lâche pas, cette main entre nous c’est le dernier pont, le dernier contact, littéral comme physique, tu vas partir, tu vas partir dans trois minutes et je le sais, puisque ces dernière secondes seront les plus silencieuses de ma vie ; comment veux-tu que je te parle ?

    En trois minutes, comment te dire toute l’horreur de la découverte de ta découverte, comment te crier la colère, la honte coriace, la frustration assassine, l’indécision infusée à la douleur, et comment t’avouer l’honnêteté parmi les décombres de la confiance et l’amour malgré les coups de couteau, trois minutes, et dire que je ne t’ai même pas vu partir, comment as-tu pu affronter le quai vide, as-tu pleuré à l’intérieur, ça t’a fait quoi dis-moi, dis-moi dis-moi dis-moi ça t’a fait quoi de me voir nue de me voir tue, sans mots sans défense sans rien, la poète muette, ça t’a fait quoi de me découvrir sourde, amorphe, résistante à tous les venins, pas de pleurs, je n’ai presque pas pleuré, ça t’a fait quoi de ne pas me voir m’effondrer ?

    Trois minutes – c’est à peine le temps de la surprise, à peine le plissement-défroissement des paupières, trois minutes, tu as glissé ta main hors de la mienne, trois minutes, tes mots empoisonnés glissés dans mon corps nu, trois minutes, tu as couru assassiner le nuage, attrapé au vol un quai de gare, trois minutes, tu t’es envolé disparu étouffé, trois minutes, et je regardais ma main vide de toi pour toujours, mon lit vide de toi pour toujours, mon corps vide de toi pour toujours et j’essayais de respirer encore un peu mais tes phrases avaient perforé mes poumons et ton absence colérique prenait soudainement toute la place dans mon diaphragme.

     

    Trois minutes et tous nos rêves écartelés gisaient, agonisants-râlants, sur le parquet de ma chambre où errait encore ton odeur.

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