Tiens, j'ai le coeur qui a mal. Mais pourquoi ? D'habitude, on a mal au coeur quand on est malade, non ? Ma mamie, elle était malade du coeur, mais le médecin l'a guérie, alors maintenant elle ne l'est plus. Malade je veux dire. Mon coeur à moi il serait malade alors ? Mais malade de quoi ? Tu sais, je te pose la question, mais en fait je connais déjà la réponse. Je la pose juste pour donner forme à mes pensées; je ne veux pas en venir au but trop rapidement, j'ai peur de ce que je pourrais trouver. Mon coeur il est malade, oui.
Malade d'amour.
Il aime trop, et trop fort. Il aime tellement de gens à la fois qu'on dirait qu'il se déchire dans ma poitrine, pour donner un petit bout d'amour à toutes les personnes qu'il aime. Mais les petits bouts ne sont jamais assez grands, et jamais assez nombreux, alors il a mal, et il me fait mal. Il bat tout doucement, il faut s'asseoir pour ne pas le fatiguer. Il est fragile mon coeur, il a mal d'aimer. Il a peur de perdre aussi, peur de perdre ces petits bouts d'amour qu'il a offert à tous les vents. Et il a peur surtout de perdre les personnes qu'il aime, et à qui il a distribué ces billets de tendresse. C'est pour ça qu'il a mal mon coeur, il a peur de te perdre. Il a peur que ma tête fasse n'importe quoi, comme d'habitude, et il a peur que tu partes. Mais c'est pas tout ! Mon coeur c'est un grand peureux, il a peur de tellement de choses... Il a peur de t'aimer trop aussi, peur de t'étouffer sous l'amour qu'il te porte. Mais il a peur de ne pas t'aimer assez, et qu'alors tu te détournes pour aimer quelque d'autre. Et mon coeur il a mal de ne pas savoir exprimer tout ça, et tous ces sentiments deviennent ensuite des petits cailloux qu'il faut porter dans la poitrine. Et ces petits cailloux, quand ils se réveillent, ils font tellement, tellement mal... Le coeur bat moins vite, fatigué d'aimer. La tête tourne un peu, parce que la tête dépend du coeur aussi, un peu. On s'assoie, on se tient au dossier de sa chaise, on fait comme si de rien n'était mais le monde tourne tellement vite autour de nous ! Et le sol tangue, et alors on ferme les yeux pour ne plus voir les murs se refermer sur soi, pour se cacher le plafond qui plonge droit sur nous; et là à chaque fois quelqu'un te demande si ça va, et pourquoi tu es si pâle... Et qu'est-ce que je pourrais répondre ? Que mon coeur a le mal d'amour ? Qu'il a simplement peur de perdre celui qui lui est cher ?
Et alors la poitrine se serre, et enserre dans ses côtes griffues ce pauvre petit coeur perdu, et le pique de part et d'autre de piqûres de rappel, douloureuses. Et la personne à qui appartient ce coeur, c'est moi. Et cette douleur, je la contient de plus en plus difficilement dans ma poitrine, parce qu'il y a tellement de souffrance et pourtant si peu de place pour la cacher ! Parfois elle déborde, et là le but ultime est de le cacher, de le dissimuler derrière de pauvres prétextes...

Tu vois pourquoi je ne voulais pas répondre tout de suite ? Peur d'arriver au bout. Je le sais moi, pourquoi j'ai ce mal de coeur. Je le sais très bien, même si je fais semblant de l'ignorer, comme si fermer les yeux rendrait la douleur un peu plus supportable..

J'ai juste peur de te perdre.

Tellement, tellement peur de te perdre.