• De l'utilité de résister et de s'engager - Jour 6

    Utilité, résister, s'engager.

    Tu es membranaire, le sel par osmose semble traverser tes paupières comme autant de fantômes. Tu vacilles avec le gouffre, valses avec le vide - fine et fragile, tu t'esquisses en transparence derrière les sourires et les petites crises dont il ne faut pas parler.

    Non, c'est vrai, tu ne travailles pas, tu procrastines, procrastines jusqu'à la lune, jusqu'à la mer même, tu rêves d'ailleurs pour échapper quoi qu'il t'en coûte au présent, à ce barbelé dérangé qui s'est cousu à ton coeur. Tu as baissé les bras et t'en veux, et bien qu'un échec soit un échec qui est un échec qui est un échec, un échec est un échec mais ne vaut-il pas mieux échouer en sacrifiant sur l'autel impavide mille efforts désespérés, mille réajustements, mille essais qui rassureront plus tard - tout plutôt que ces mains à l'odeur de déconfiance, de décourage, qui écorchent et griffent la terre en s'y traînant jour après jour après jour ?

    Je sais, le poids est pluvieux et lourd au-dedans, et tes côtes sont bien fissurées de le porter silencieusement depuis si longtemps. Le vide et ses mains de folie se balance dans ta poitrine, et ses petits pieds furieux qui cognent partout font tomber toute la vaisselle des murs du coeur. Les bleus se faufilent à l'intérieur et calquent leur progression sur la décadence de tes sanglots. La transparence se répand, cancer invisiblement méticuleux, et bientôt tu ne sauras plus parler.

    Tu ne sais plus parler, je raconterai pour toi; il était une fois, une jeune fille membranaire, si perméable, si frêle que la vie lui passait au travers en écorchant son être à chaque palpitation, passage, parole - les mains dans la terre et le coeur mille fois recousu, les paupières récalcitrantes suintant de larmes, elle pensait à l'utilité de résister et de s'engager. Les mots trop gros lui semblaient politiques, avaient des allures de multinationales mondiales - alors même qu'écrits tout petits ils pouvaient décrire sa vie. Résister, c'est se lever tous les matins, rouler sous l'eau chaude pour faire comme si la journée commençait - alors que la tristesse ne finit jamais -, résister, c'est enfourcher son vélo comme si c'était la plus puissante des motos, c'est s'arrêter aux feux rouges, c'est s'arrêter aux passages piétons, c'est s'arrêter une fois arrivée à destination
    - alors qu'on voudrait continuer pour aller disparaître à l'autre bout du monde -
    résister, c'est s'asseoir, et faire comme si de rien n'était
    - alors que tout -

    S'engager, c'est essayer de parler coûte que coûte, c'est utiliser la moindre parcelle de ses forces pour communiquer à l'autre
    - aide-moi, s'il te plaît aide-moi -
    c'est ouvrir ses cahiers et s'obliger à lire, à comprendre, apprendre, s'engager c'est rentrer chez soi le soir
    - alors que le vide attire et attire et attire -
    c'est se forcer à manger, se démaquiller, c'est quitter ses lentilles
    - alors que plus rien n'importe -
    c'est s'endormir pour se lever le lendemain matin et rouler sous l'eau chaude
    - qui peut-être dissoudra les rêves collants des nuits un peu noires qui se glissent sous les paupières -
    s'engager, c'est muscler ses paupières pour ne plus les clore devant chaque regard.

    L'utilité finale, c'est de continuer à respirer, c'est vivre, survivre, essayer d'assembler mille armures raccommodées pour affronter les jours difficiles qui arrivent, l'utilité de résister c'est continuer à se lever, quitter ses lentilles, c'est enfourcher son vélo en luttant chaque jour contre l'envie tenace de s'envoler.

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