• (jour 3)

    C’est tout cela, et bien plus encore.

    les broutilles et les poussières de dispute, pour rien, parce qu’on vit les uns sur les autres
    ne parler qu’aux quatre mêmes personnes pendant trois semaines
    Moby Dick et les trajets si doux dans ces déserts si vides (Piute et Circletown)
    changer de lit tous les soirs au fil de la route
    les échantillons de shampoing et le lit où on dort à trois
    manger au hasard
    marcher au hasard
    l’immensité de la route, des parcs, du loin, des lieux
    ces dépaysements quotidiens, presque horaires
    changer de décor comme de chemise (d’un coup le canyon, puis d’un coup le far-west)
    le fou rire devant la pizza dont personne ne veut
    faire du gainage dans le ventre de Moby Dick
    imiter les hoodoos et les cow-boys
    se déguiser en indiens au musée des décors
    les blueberry waffles
    traquer le wi-fi
    errer pendant des heures dans des rues toutes semblables et en même temps si lointaines
    jouer au tetris dans les avions pour dormir
    troquer les plateaux-repas
    inventer des jeux de cartes
    inventer les cartes
    se disputer pour des itinéraires
    (s’aimer au final où qu’on aille)
    s’assoiffer de cartes postales
    rêver de la maison, le mal du pays coincé dans la gorge
    partager le produit pour lentilles, la salle de bain et tous les repas de tous les jours et toutes les heures de toutes les nuits
    apprivoiser les écureuils et les métros
    se supporter les uns les autres
    trouver de tous petits coins pour l’écriture, parfois
    monter à faux-cheval
    croiser des dinosaures et des lacs salés et des mormons
    feinter la pluie et les maîtres d’hôtel
    grincher
    il faut bien, parfois
    (s’aimer au final où qu’on aille)

    c’est tout cela
    et bien plus encore
    ma famille en voyage, nomades malheureux
    auxquels est cousu mon coeur


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  • (jour 2)

    La pizzeria, tête-à-tête avec l'autoroute, petit box en bois, ma famille dedans. L'orange-taciturne et le chardon-adouci, le poète-sédentaire et la dure-amour, mes quatre toujours immuables en face-à-face par-dessus la table. La pizza familiale commandée et les breadsticks arrivent : regards de consternation, éclat de petit rire, plus éclosion d'une baleine, le fou rire en floraison-cachalot. Oh, on est misérables face à cette pizza dont personne ne veut, au milieu de ces touristes dont on voudrait ne pas faire partie, avec de l'autre côté de la nationale ce bungalow en plastique qui nous attend patiemment. Oh, on est misérables à détricoter nos itinéraires pour y rentrer plus de sédentaire, plus de plages, moins de routes qui nous coupent tout le jour. Mais dans ce fou rire né de la réunion de notre épuisement et de notre complicité, le temps est doux, et les touristes sont loin. Oh, bienveillante misère, si tu n'existais pas, il faudrait t'inventer.


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  • (jour 1)

    n'ai plus l'habitude d'écrire sur un thème imposé, je me sens gênée aux entournures, le col de la page est trop serré, engoncée, je me donne l'impression d'écrire à travers un filet d'eau glacée, faussaire, fausse écrivaine, et pourtant j'ai ce désir qui m'entraîne et me traîne et me voilà à juxtaposer des mots bancals, fissurés de doute, ai-je un sens, la vie en a-t-elle, ai-je besoin de me forcer pour cracher ce texte minuscule, dois-je le reprendre, me reprendre, me repriser pour recoudre ces doutes incarnés? deux fois le mot doute et me voilà à questionner la bienséance de cette idée, qui voudrait donc lire les mots perdus d'une jeune adulte pommée (et alors dans mon esprit surgissent les acclamations et les encouragements de cet homme qui disait écrire c'est résister! battez vous, vous êtes la littérature de demain, soyez en digne, soyez en fier!)
    alors j'écris mais je serre mes lignes, cogne mes mots, pour les rendre (peut-être moins beaux) (certainement moins lisibles), je serre les dents pour ne pas grimacer devant mon niveau maigre, mon style pâteux, mes mots lourds qui ne décollent pas entrouvrir d'autres cieux, d'autres yeux. peut-être dans l'écriture retrouve-t-on un autre miroir que celui de l'armoire, mais le même questionnement incessant : suis-je assez? (bonne, poète, jolie, intelligente, pleine d'esprit, parfaite?) suis-je suffisante?
    le serai-je un jour? ai-je besoin de l'être?
    peut-être dans l'acte d'écrire faut-il retrouver cette acceptation de soi-même avant tout départ hâtif et souvent voué à l'échec; peut-être faut-il se dire, verbaliser le fait qu'on est assez, et qu'on le sera toujours du moment qu'on respire; que notre écriture est valide du moment qu'on a la force de la produire, valable dès qu'elle est écrite; peut-être faudrait-il se rappeler qu’ “écrire bien” devrait être synonyme d’ “écrire avec plaisir”, d’ “écrire avec désir”, et ne pas chercher plus loin.


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