• (jour 7)

    “Ecrire à quelqu’un est la seule manière de l’attendre sans se faire de mal.”
    Baricco, Océan-Mer

    Quelle vie débordante d’écriture il me faudrait mener si je voulais correspondre à cette phrase. Et pourtant même dans l’écriture l’absence me transperce.
    Quand j’écris “je rêve tes caresses en bleu nuit sur ma peau grise”, la distance entre tes mains et mon épiderme me déchire. Quand je glisse dans l’enveloppe mes baisers les plus tendres et un fantasme et demi, j’ai mal de ton vide. Quand j’imprime au papier la forme de nos corps qui dansent, qui de la feuille ou de tes lèvres crois-tu que j’espère les baisers ?
    T’écrire n’est pas la seule manière de t’attendre sans me faire de mal. Parfois je t’attends dans mon bain et quand j’entends tes clés dans la serrure, je m’engloutis dans mon océan domestique en attendant que tu te drapes de buée. Parfois je t’attends dans mon lit et quand tes bras se glissent autour de moi, l’attente passe d’amère à douce. Parfois je t’attends dans mon livre et soudainement je lève les yeux et tes doigts valsent avec les pages. Je peux t’attendre de mille manières non-violentes, patienter des heures longues et douces car j’ai appris l’amour à distance, les kilomètres à travers la gorge et les trains qui nous roulent sur le corps. J’ai connu les quais de gare tantôt prison tantôt euphorie, les cartes de réduction pour amour moins cher et tous ces jours-sans. J’ai appris l’attente en lui rentrant dedans, et sa douceur ne passe pas uniquement par l’écriture, qui elle-même dans les vapeurs de ses rappels peut se faire bien plus cassante que tendre.


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  • (jour 6)

    La force qu’il faut pour se relever

    Je ne voulais pas aller à Los Angeles. Même maintenant, alors que j’y suis, que j’ai découvert la maison-bobo aux planches de surf, même après avoir pour la toute première fois vu l’océan, je ne suis pas sûre de vouloir y être. Je m’attriste d’avoir troqué la Death Valley et le Yosemite contre deux jours de plage dans une banlieue résidentielle de 100 kilomètres de long, où tout est construit partout pareil. J’étais la seule à avoir coché la case nature, tout le monde préférait du repos : nous voilà à Los Angeles dans une maison de poupée cassée qui sent l’océan.
    J’aimerais faire contre mauvaise fortune bon coeur car il n’y a pas de mauvaise fortune, juste mon entêtement à ne pas vouloir me réjouir de ces deux jours de pause dans un cadre plus qu’agréable qu’on me tend sur un plateau. Je me sens coupable d’être déçue de cette étape alors que le voyage en lui-même est à couper le souffle (Ô). Je ne me sens pas le droit d’être mécontente alors qu’on a démocratiquement tous exposé notre point de vue.
    Et pourtant, malgré tous mes bons sentiments et mes petits apitoiements sur mon nombril, je n’ai pas la force d’être heureuse - ou d’avoir suffisamment l’air de l’être pour échapper au sondage incessant sur la qualité du voyage auquel on nous soumet quasi quotidiennement. Je n’ai pas la force de pousser mon ressentiment de côté alors que j’en ai l’envie - et pour moi, et pour eux. Je me console en me trouvant pour excuses la chaleur étouffante, la fatigue et le fait de partager l’intégralité de mon quotidien avec les quatre mêmes personnes depuis dix jours.


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  • (jour 5)

    Transexualité

    j’ai choisi un thème qui m’intimide parce que je voudrais poser mon point de vue de timide sur la question. Je ne connais la transexualité qu’à travers la littérature : journaux, magazines, mais surtout, surtout internet. J’ai lu sur des forums des articles écrits par des auteurs dont le sexe et le pronom qu’on demandait d’utiliser n’étaient pas accordés. Une de mes chanteuses préférées était un homme. Voilà mes seuls rapports avec le monde trans : personne dans mon entourage ne m’a dit l’être, proche ou éloigné; seule la lecture m’apprend et me confirme leur existence.
    Je me demande souvent ce qu’il faudrait le jour d’une possible rencontre : aurais-je le droit d’être curieuse ou me comporterais-je comme une mamie devant une bête de foire ? Quels pronoms utiliser et est-ce grave si je me trompe au départ ? Comment ne surtout pas blesser cet autre tout en ne lui donnant pas non plus l’impression de le traiter comme un bibelot fragile ? Comment me comporter devant cette personne qui me soulève tant de questions ? Car dans mon crâne je me demande : comment peut-on naître femme et grandir homme ? Quel effet cela fait-il ? Est-ce douloureux ? Se sent-on déraciné, désaccordé, malhonnête envers soi-même ? Comment sait-on que son genre n’est pas cohérent avec son sexe ?
    Dans un autre contexte, bien que proche du nôtre, contexte de l’amour, j’ai pris le pli de ne penser que très peu aux barrières et autres labels. Dans ma tête, je n’ai que faire des étiquettes tant que l’amour et le respect sont là : dans ma tête, on peut aimer comme on veut -tant qu’on veut-, du moment qu’on ne fait pas de mal -dans l’ordre- ni à soi-même ni aux autres.
    J’aurais tendance à transposer cette manière de penser au monde trans, sans savoir si c’est une insulte ou un pavé dans la mare : tant qu’il y a -dans l’ordre- du respect et de l’amour (le premier est atteignable, le deuxième me questionne, mais dans un sens tout personnel), alors je n’ai que faire des étiquettes.
    Mais ai-je le droit à cette simplification ? Ne minimise-t-elle pas les efforts fournis à ces êtres pour être au clair avec eux-mêmes sur leurs personnes ? Ne gomme-t-elle pas cette frontière importante -je n’en sais rien finalement- du mot trans ?
    Je suis avide, avide de ces réponses, mais timide, timide - jamais je n’oserais poser ces questions à une connaissance tout juste rencontrée qui aurait eu l’idée de me partager sa transexualité, par peur, crainte de le blesser. J’envisage ces questions dans le cadre feutré d’une amitié où des deux côtés on sait évidemment la volonté de meurtrir absente, et où les éventuelles blessures seraient totalement accidentelles et aussitôt oubliées.


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  • (jour 4)

    Qui suis-je ?

    Au fur et à mesure du temps qui passe, le voile qui me sépare du miroir honnête s’affine. Plus les jours coulent, et plus le drap se colle à moi et me dévoile mes propres contours. À force de vivre avec moi-même je commence à me connaître, à apprendre mes pensées-ressorts, les émotions qui me meuvent, celles qui ne m’atteignent pas.
    J’apprivoise mes réactions face à telle ou telle situation, j’essaie de prévoir, prévenir, modifier mes pensées pour correspondre toujours à cet idéal imprécis et flou qui me laisse si souvent insatisfaite. Non, je ne suis pas une fille cousue d’extrêmes, bien que je l’eusse rêvé. Je suis une femme en demi-teintes et en demi-tons comme il y en a tant d’autres, une femme pastille-grise, puisque glissée dans mon coeur il y a cette tristesse de ne pas être plus vive. Parfois je le tente, la bouche vermillon et les yeux paillettes bleues, la robe rouge et les grelots aux pieds, je sors danser les yeux fermés pour ne plus sentir le poids du monde. Parfois je l’essaie, cette vie tâchée d’éclats et parsemée d’absolus, mais comme des escarpins trop pointus, elle m’use et je retourne vite dans ma coquille de doutes.
    Je suis une fille demi-teinte, qui pleure beaucoup de crainte de n’être pas assez; une femme demi-ton, dans la moyenne alors que je me rêvais bonne dernière ou majorante, une extrême, celle qu’on retient. Plus mes contours se précisent et moins je m’aime, puisque j’ose me regarder honnêtement et que je n’y vois rien d’extraordinaire. Plus j’apprends à me connaître et moins j’aime vivre avec moi-même cette existence tiède; alors j’apprends, à vivre avec.
    À vivre avec ma personne moyenne cette vie moyenne. Avec ce sentiment d’inutilité profonde créé par la réalisation que non, je ne serai jamais exceptionnelle. Avec la honte de n’être que moi et d’avoir l’impression que ça ne suffit pas.
    J’apprends à vivre à mes côtés sans me dégoûter constamment de mes concessions et de mes détours face à l’absolu.
    Je suis une femme tiède comme il en existe mille autres, qui bouillonne sous des mains désirs comme mille autres, qui pleure désespérée la tristesse des jours comme mille autres, qui s’émerveille comme mille autres - je suis une femme tiède dont les éclaboussures d’extrêmes ne différent en rien de celles des autres et qui s’en attriste.
    Avec la fin de l’adolescence est venue se poser sur mes épaules cette réalisation que j’existe comme - et pas plus que - tout le monde. Noyée dans cette masse, dans cette foule de personnes lambda, dont je voudrais ne pas mais fais partie, je lève les yeux vers le panthéon où sont cloués les humains qu’on a choisi connus et je me demande quel ressort me pousse à vouloir absolument sortir du lot, ne pas être comme, ne pas être tel.


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