• (jour 23) 

    LE MAILLOT QUI PASSE EN TEMPS DE BAIN
    (ou maillot de bain et temps qui passe)

    me rappelle ce maillot que j’aimais trop mais qui ne m’allait pas; au tissu blanc qui avait jauni, assorti à ma peau de porcelaine, parsemé de coquelicots; découpe rétro qui se voulait pin-up mais laissait surtout à ma poitrine la liberté de voleter à sa guise ou de prendre l’air quand bon lui semblait; l’élastique de la culotte, à force d’être porté, se détendait un peu plus à chaque extension : à la fin, c’était presque un miracle que d’arriver à se lever sans la perdre; porté par ma mère je l’arborais, ce maillot, toujours fièrement, intimement persuadée de mon originalité subtile et de mon excentricité douce. Je suis encore surprise de l’aplomb avec lequel je marchais dans mes coquelicots, compte tenu de la piètre estime de mon corps que je possédais à l’époque - jamais un doute quant à mon allure de fantôme en dentelle ou ma poitrine librement tombante - j’étais sublime, puisque je me pavanais dans un fantasme; j’avais la plage à mes pieds puisque drapée dans un rêve.

    Depuis, l’élastique a craqué et le temps a coulé; beaucoup de larmes et de sable ont roulé sur mon corps; beaucoup de mains et de baisers l’ont tâché. Mais toujours, dans un rai de soleil ou une odeur de varech ou d’été, je retrouve sur ma peau les froufrous de l’étoffe et les coquelicots fanés.


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  • (jour 22)

    Identité

    perdue, volée, passagère. je suis d’ici mais pas de là. je suis de ce souvenir mais pas de cet endroit. si je te dis “j’ai vécu dans cet immeuble” il ne faut pas entendre “j’ai habité cette localité”. je me dessine en-dehors des cartes, j’existe en-dehors des lieux-dits. je saupoudre de poésie la cardinalité des jours : je n’habite pas à Boissonnet mais Sous La Forêt, je ne donne pas de rendez-vous devant Rumine mais Sur La Pince Universelle, je ne me rends pas à Montrepos mais je rends visite à Jean-Paul l’Arbre, je marche chez l’Indien, je suis la Louve et couve la Rue des Fous, du Calvaire je me perds sur l’Invisible, je floute le connu pour ne marcher que dans mes souvenirs. pour me connaître, il faut jeter toute épingle et suivre mes itinéraires, mets tes pas dans mes passés et ramasse les débris d’oubli dont j’ai parsemé la pierre. marcheuse infatigable dans cette ville que j’ai faite mienne et qui m’a adoptée en silence, j’erre et accroche aux lieux une âme qui se mêle au vent et aux soupirs des encore-vivants. comment raconter toutes ces marches, ces bancs, ces rebords où assise en transparence j’assistais à la marche du monde ? comment décrire ces rais de soleil ou l’ombre en dentelle sur les murs, la poésie d’une foule ou le plaisir d’y disparaître ?
    j’habite dans mes transports autant que les trajets m’habitent, je me décris en flou et en brusque, me reconnais dans le mouvement, mon identité un déplacement, ma vie un courant d’air. je suis d’ici mais pas de là. j’ai habité ce souvenir mais pas cet appartement. pour me reconnaître, ne cherche pas les lieux où j’ai vécu mais les fragments de vie qui y sont encore cousus.
    ma vie, une bourrasque. mon identité, du vent.


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  • (jour 21)

    (tout m’est très personnel et tout tourne autour de mon nombril - j’utilise l’écriture comme catharsis et comme tremplin pour observer ma vie de plus loin)

    Mamie, ma douce Mamie,
    je t’écris parce que je t’aime, parce que le tourbillon de la vie devenu si violent autour de toi m’empêche de t’approcher pour te le dire. Mamie, ma douce Mamie, je ne sais où puiser la force de t’écrire parce que je me sens arrachée, projetée brutalement dans cette certitude que tu t’étioles et que tu vas mourir. Je ne sais pas affronter ta mort Mamie. Je ne sais pas et ne veux pas me battre.
    Tu es si maigre, Mamie-moineau, si maigre et pourtant tu pèses tellement lourd sur les épaules de maman et tatie. Je ne compte plus les kilomètres, les heures sup’ pour pouvoir prendre ce jour pour venir te voir, les cernes qu’elles sacrifient avec le sourire et le coeur bon. Jamais aucune larme, aucune plainte, elles sont stoïques, inébranlables, solides pour toi, ma Mamie qui vacille, qui dort deux jours pour n’en vivre qu’un, qu’on vide et qu’on remplit avec des tuyaux sordides qui n’ont pas le goût de lavande.
    Mamie, ma douce Mamie, je tisse mille imaginaires où tu ne tombes jamais malade et où la mort n’existe pas. Je ne sais plus à quoi tu ressembles, apeurée, terrifiée que je suis de venir te voir, j’ai peur de ne plus te reconnaître, j’ai peur de l’hôpital, j’ai mal, mal de te savoir si frêle, mon corps me refuse d’accepter que tu es la même sans être la même, et j’angoisse, perdue entre mes mille cauchemars, j’angoisse.

    Mamie, ma Mamie-moineau, je te demande pardon de n’être pas venue alors que j’étais si proche, alors que c’était possible, pardon pour mon demi-tour, Mamie.

    J’ai peur de ta maigreur, peur de ta voix, peur de tes jambes qui ne marchent plus, peur de tes bleus, peur des tuyaux et des poches, peur de te trouver flasque et maigre et sans énergie pour faire semblant d’être vivante; j’ai peur de voir maman et tatie franchir vaillamment le chambranle le sourire vissé aux lèvres, les questions et les réponses déjà plein la bouche, et de ne pas être capable de les suivre; Mamie, j’ai peur d’être un poids pour tout le monde à exploser en larmes avant même d’être entrée, à ne pas savoir faire semblant d’être uniquement heureuse - oui, je serais heureuse de te voir, mais triste, infiniment triste Mamie, d’arriver et de constater l’avance de la mort sur toi tout en connaissant le vainqueur.
    Mamie, j’ai peur de pleurer trop, de pleurer pour toujours parce que je ne sais pas faire autrement et qu’une fois lancée je ne sais plus m’arrêter. J’ai peur d’être incapable de te dire un mot parce que les larmes. J’ai peur de te rendre triste parce que les larmes. Peur de fissurer le masque de maman et tatie parce que mes larmes. Je ne veux pas que ce soit à toi de me consoler Mamie, et pourtant je ne sais pas faire semblant d’être solide.
    […]
    tu as apposé sur ma vie l’écho des choses brisées
    […]


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  • (jour 20)

    décris QUELQU’UN comme un PAYSAGE
    ECRIS à quelqu’un DANS un paysage

    Mamie, ma douce mamie, je t’écris parce que j’ai peur que tu n’existes déjà plus.

    Tu ressembles au camping - j’y ai passé mes 19 premiers étés, seul le 20ème m’aura trouvée de l’autre côté de l’atlantique. J’y ai passé certains de mes plus beaux juillets : où à chaque jour est cousu un souvenir au goût de sable et de lavande.
    Plus jeune, j’y avais des amis de toujours, juilletistes consacrés, qu’il me tardait de revoir dès les bagages pliés. J’ai appris à marcher dans ces criques et j’ai aimé derrière ces rochers.
    Plus vieille, je me suis sentie à l’étroit dans ma tente, j’ai appris l’été la nuit, à la sauvage, j’ai dressé des sangliers et fait couler entre mes orteils des litres et des litres de sable glacé. Je n’avais plus cette envie de revenir dès mon départ car je ne retrouvais plus entre mes amis et moi cette alchimie des jeunes années.
    Cette année je n’ai pas vu le camping, et le camping a brûlé. Des oliviers centenaires et des chênes-lièges ne restent que des cendres et des troncs maigres et calcinés. Je n’ai plus envie de revenir l’été prochain parce que je sais que jamais je ne retrouverai le même endroit que dans mes souvenirs, et cette distinction entre ce lieu dans ma mémoire et ce lieu sous mes yeux - c’est le même mais ce n’est plus le même - me déchire.

    Mamie, ma douce mamie, tu ressembles au camping. J’ai passé dans tes bras mes 19 premiers étés, seul le 20ème m’aura trouvée sur l’autre face de l’océan. Tu jouer le premier rôle dans certains de mes plus beaux souvenirs : tu y as l’odeur de citronnelle et de lavande.
    Plus jeunes, nous étions deux juilletistes éternelles, et il me tardait de te revoir dès les bagages bouclés. J’ai appris à marcher sur tes pieds et je t’ai aimée chaque jour un peu plus.
    Plus vieille, à l’étroit dans nos étés bien rangés, j’ai appris à rendre les fermetures éclair de ma tente silencieuses et j’allais danser la salsa avec la mer et l’absence de toi. Moi je grandissais et toi tu as vieilli sans que je ne te regarde. Tu as vieilli et je ne m’en suis pas rendue compte.
    Je n’avais plus hâte de revenir dès mon départ parce que tu n’avais plus la même énergie, mes rêves trop grands pour ton âge, et ça me blessait que tu ne puisses plus bouger avec la même facilité.
    Cette année je ne t’ai pas vue mamie, et mamie tu as brûlé. Ton incendie la chimiothérapie; tes reins en miette, ton estomac en morceaux et le feu qui court sous ta peau. Ma Mamie estompée, tu ne sais plus parler sans te fatiguer, et dans ton corps maigre mes souvenirs ne rendent plus d’écho. Je n’ai plus envie de te voir parce que je sais que la personne que je rencontrerai n’est plus la même que celle que je connais - tu es la même mais tu n’es plus la même - et je me déchire. 


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