• By François Henri Galland

    "Mon enfance fut parsemée de faits divers que venaient enfler la rumeur d'un pays sans information fiable : des histoires sans images, pourtant tellement proches parce que l'on connaissait toujours la fille dont le frère avait tué, ou bien une amie de la fillette, ou encore le lieu où la dame avait été retrouvée, que la charge de cruauté s'en trouvait redoublée par l'absence de preuves.

    Car d'avoir vécu à la périphérie d'un monde à économie de marché, à jamais mes yeux sans images sont blessés.
    La petite fille s'est flétrie en bouquet, les chiens se sont assis, et tandis que les maisons brûlent paisiblement dans la nuit, des dinettes attendent des invités qui ne viendront pas : je ne me rappelle que des choses que je n'ai pas vues."

     


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  • La fille de papier
    papier ciseaux qui cisaille
    la fille qui
    qui qui qui qui entaille les lignes les mots
    les poignets les amendes de la biblio
    qui se gratte la bile la tête qui se démène se déménage
    la fille de papier papier papier pas sage
    la fille à papa - la barbe à papa même le nuage -
    la fille de papier qui s'excuse qui s'efface qui
    s'écroule qui se tasse et qui entasse dans ses paupières
    lourdes ses phrases fatiguées dans ses chaussettes qui glissent le
    long de ses mollets entaillés effilés décharnés
    la fille qui se tasse et qui entasse dans ses mains d'enfumée
    les larmes amères des échecs-échos pas tout à fait encore avalés.


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  • Union Libre

    " Ma femme à la chevelure de feu de bois

    Aux pensées d'éclairs de chaleur

    A la taille de sablier

    Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre

    Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur

    Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche

    A la langue d'ambre et de verre frottés

    Ma femme à la langue d'hostie poignardée

    A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux

    A la langue de pierre incroyable

    Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant

    Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle

    Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre

    Et de buée aux vitres

    Ma femme aux épaules de champagne

    Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace

    Ma femme aux poignets d'allumettes

    Ma femme aux doigts de hasard et d'as de cœur

    Aux doigts de foin coupé

    Ma femme aux aisselles de martre et de fênes

    De nuit de la Saint-Jean

    De troène et de nid de scalares

    Aux bras d'écume de mer et d'écluse

    Et de mélange du blé et du moulin

    Ma femme aux jambes de fusée

    Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir

    Ma femme aux mollets de moelle de sureau

    Ma femme aux pieds d'initiales

    Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent

    Ma femme au cou d'orge imperlé

    Ma femme à la gorge de Val d'or

    De rendez-vous dans le lit même du torrent

    Aux seins de nuit

    Ma femme aux seins de taupinière marine

    Ma femme aux seins de creuset du rubis

    Aux seins de spectre de la rose sous la rosée

    Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours

    Au ventre de griffe géante

    Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical

    Au dos de vif-argent

    Au dos de lumière

    A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée

    Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire

    Ma femme aux hanches de nacelle

    Aux hanches de lustre et de pennes de flèche

    Et de tiges de plumes de paon blanc

    De balance insensible

    Ma femme aux fesses de grès et d'amiante

    Ma femme aux fesses de dos de cygne

    Ma femme aux fesses de printemps

    Au sexe de glaïeul

    Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque

    Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens

    Ma femme au sexe de miroir

    Ma femme aux yeux pleins de larmes

    Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée

    Ma femme aux yeux de savane

    Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison

    Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache

    Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu. "

     

    André Breton (1931)

    Union Libre

    Lovers and Lautrec, by Joseph Lorusso


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  •  

    Parfois pourtant j'aimerais me rencontrer
    m'offrir un thé-croissant-café
    - ah mais je n'aime pas le café -

    me poser, discuter ensemble,
    me raconter des choses que je ne sais pas,
    et puis s'excuser d'être nous

    s'excuser d'être nous - juste nous juste moi
    juste moi, je ne sais pas
    je ne sais pas l'être, moi,

    je ne sais pas l'être, redis-moi
    dis-moi encore comment faire pour exister
    - pour vivre pour respirer

    j'oublie si vite,
    et si vite tout se déconstruit
    si vite tu sais

    j'oublie d'avancer, d'avancer l'oubli, alors je perds le chemin la voiture les clés,
    j'ai bien le permis mais où ? Même lui s'est caché,
    j'oublie si vite où je range, et même si j'ai rangé

     

     

    j'oublie même
    (parfois pourtant)
    d'oublier

    j'oublie l'oubli et il
    me perfore le poumon droit le
    poumon gauche je
    respire à peine l'oubli englué dans la gorge
    dans le feu du ventre l'oubli qui foisonne
    l'oubli qui s'oublie
    l'oubli que j'oublie

    j'oublie d'exister - en chemin la route s'est égarée
    la route s'est perdue, moi j'ai perdu la tête,
    j'ai oublié de marcher, oublié de courir

    je voudrais me rencontrer
    tu sais, parfois pourtant,

    sur le bord du chemin et me raconter :
    pardon d'oublier
    pardon de t'avoir oubliée
    viens
    viens j'aimerais me rencontrer
    viens
    il faut s'excuser d'être nous
    s'excuser d'être nous
    il faut
    oublier de parler
    oublier de parler
    il faut arrêter de parler.


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